« Mettre fin au calvaire des motos-taxis à Dakar : Une urgence désormais vitale » !
CONTRIBUTION
En cette période de décompte de l’héritage laissé par le régime précédent, la
publication officielle des différents dossiers d’enquête fait certes l’objet des « choux
gras » des média et autres grand-places ou salons de causerie, mais il convient de
reconnaitre que le leg le plus désastreux, le plus dangereux en matière de sécurité
routière et le plus visible au quotidien est bien celui du désordre inouï causé par la
circulation des motos taxis dans la capitale !
Le reportage effectué le 24 avril 2024 dernier par la télévision nationale RTS, dans
les rues de Dakar, a révélé le désarroi et l’exaspération des populations dakaroises.
Le constat de ce qu’elles vivent au quotidien avec le comportement des conducteurs
de motos taxis et tricycles est on ne peut plus amer ! Leurs propos évoquent
respectivement :
• Non-respect du code de la route,
• Rouler sur le trottoir réservé aux piétons,
• Ne pas s’arrêter au feu rouge de signalisation,
• Rouler en sens interdit,
• Rouler sur la voie réservée aux bus du BRT,
• Nombre exponentiel des motos taxis, voire une invasion de la ville,
• Regards impuissants des forces de l’ordre,
• Pas de restriction géographique d’accès au niveau de la ville,
• Pas de restriction horaire de circulation,
• Conducteurs adolescents,
• Non détention ou doute sur la détention du permis de conduire pour un bon
nombre d’entre eux !
En sus de ce désordre, les actes de banditisme comme vols à l’arrachée, agressions,
accidents irresponsables de la circulation, vols à main armée en bande organisée
...etc. …ont connu une recrudescence notoire, particulièrement en zone périurbaine
et dans la banlieue.
Saint-Louis, la capitale du Nord, vit le même calvaire, si ce n’est pire, comme en
atteste le reportage publié le vendredi 10 mai 2024 dans la rubrique « Société » du
journal « L’Enquête » ! Evoquant les motivations politiques et la pression du
chômage qui auraient amené les autorités communales à autoriser la conduite des
motos taxis en ville, le journaliste s’est appesanti sur les infractions, manquements
et actes de délinquance identiques à ceux évoqués plus haut, tout en soulignant,
après un tour à l’hôpital régional, la gravité des conséquences des accidents de
2
motos taxis sur les piétons et les conducteurs eux-mêmes, dont la majorité devient
tés souvent des handicapés à vie !
La situation n’est guère meilleure à Thiès, où « plus de 60% des accidents en milieu
urbain sont causés par les motos-taxis. Depuis leur avènement, les victimes qui
perdent la vie se comptent par centaines. Le phénomène est tel qu'à l'hôpital de
Thiès, une salle de soin entière leur est réservée, et dénommée la salle "Jakarta" (Le
360 Afrique, MB N’Diaye 3/2/2017).
Et toutes ces populations en appellent aux autorités – nouvelles bien sûr – pour
régler ce leg désastreux qui « déconstruit » littéralement l’harmonie de nos villes,
favorise une insécurité routière permanente et détruit petit à petit la belle image
traditionnelle de notre pays !
Ayant connu un boom indéniable durant la période du COVID-19, avec l’émergence
de la fonction incontournable de livreur, les conducteurs de motos ont
progressivement transité vers le fait accompli de conducteurs de motos-taxis pour
assurer, depuis tous les coins de la capitale, le transport de passagers. Et ce, devant
des autorités qui n’ont toujours pas reconnu leur existence officielle, ni défini les
modalités et conditions d’exercice de ce nouveau métier sur le territoire national, ni
dans la capitale.
Pire, le laxisme et le manque d’anticipation de celles – ci ont donné libre cours à
l’arrivée d’un nombre important de jeunes conducteurs d’autres régions
périphériques, et même de pays limitrophes, qui profitent d’un marché ouvert et
informel où le coût de la course s’avère plus lucratif, entre 1000 F et 2000 F, avec la
fonction occasionnelle de livreur.
Ainsi, de nombreux carrefours de nos villes sont devenus désormais des « arrêts »
de motos taxis, sans aucune intervention des Maires des villes ou des communes qui
ratent ainsi l’opportunité d’aménager des aires de stationnement payantes et
gardées par des jeunes des quartiers, à l’instar d’autres villes de la sous-région ! Il
en est de même de la multiplication d’ateliers informels d’assemblage ou de
réparation de motos dans les rues et ruelles des quartiers, sans aucune intervention !
Et pourtant, voilà des années que des Instituts ou Centres de recherches traitant de
la sécurité et des zones de conflits en Afrique – Human Right Watch (HRW),
International Crisis Group (ICG), et Timbuktu Institute plus près de nous – ont
alerté sur l’irruption dangereuse des motos dans les zones urbaines d’Afrique, avec
leur implication, déjà connue et bien documentée, dans les attaques et transports de
produits illicites dans toute la bande du Sahel !
Mieux, la Commission Paix et Sécurité du Comité sur le Dialogue National , lors des
deux sessions tenues en 2021 et en 2023 avait recommandé, dans son Rapport Final
« de prendre urgemment une législation nouvelle pour imposer aux
conducteurs de motos à deux roues et à trois roues une obligation ferme
d’immatriculation, carte grise, permis de conduire, assurance, casque quelle
que soit leur cylindrée, pour des raisons sécuritaires évidentes compte tenu de
leur implication récurrente dans les menaces et actes terroristes dans la sous-
3
région et autres infractions, cambriolages et transport de produits illicites ». Là
encore, aucune réaction officielle, la priorité de l’heur fut finalement accordée aux
opportunités d’accords politiques malgré la pertinence et l’urgence des
recommandations proposées !
Cette absence de législation spécifique et unique sur l’ensemble du territoire
national est même déplorée par les associations de conducteurs de motos taxis qui
se plaignent que l’Etat ne s’occupe pas d’eux. Les recherches documentaires
effectuées permettent de constater que les ententes de taxe communale (3000 F/mois
et 5000 F contre un gilet numéroté et une plaque d’immatriculation) à M’Bour / Saly
ou taxe communale de 36000 F / an pour Ziguinchor) sont à l’initiative des Maires,
pour ne citer que ces deux villes.
Cependant, ces initiatives ne semblent pas être identiques d’une ville à l’autre.
Au niveau de Dakar, c’est bien l’Arrêté No 008903 du 29 octobre 2012 interdisant
formellement l’utilisation des motos taxis dans la région de Dakar qui a été très
souvent évoqué par les autorités préfectorales ou de la gouvernance à l’occasion
d’interdictions temporaires de circuler.
Pendant ce temps, certains pays de la sous-région qui ont connu cette déferlante des
motos taxis bien avant la capitale sénégalaise – ou en phase de COVID -19 - ont pris
des mesures énergiques pour maitriser la situation, en reconnaissant d’abord le
nouveau métier de conducteur de moto taxi et tricycle dans le cadre de
l’employabilité des jeunes et en se fixant le triple objectif :
➢ D’une professionnalisation des acteurs du secteur,
➢ D’une meilleure identification des taxis et de leur périmètre d’activités, pour
des raisons évidentes de sécurité,
➢ Et enfin d’une amélioration de la sécurité routière et du confort et de la
sécurité des usagers (conducteur et passager).
A cet effet, les recherches documentaires effectuées au niveau de cinq (5) pays de la
sous-région (Togo, Burkina Faso, Bénin, Guinée et Cote d’Ivoire) ont permis de
constater les efforts importants déployés, autour de conditions et modalités
identiques, en consultation avec les associations professionnelles concernées, pour
concilier les impératifs :
• D’opportunité d’emploi pour les jeunes,
• De réduction de l’insécurité routière,
• Et de professionnalisation progressive du secteur.
Le tableau suivant donne un aperçu des décrets et lois pris par les autorités de ces
pays pour bien délimiter le champ légal de l’activité de conducteur de moto taxi.
CONDITIONS ET MODALITES D’EXPLOITATION A TITRE ONEREUX DE
VELOMOTEURS, MOTOS-TAXIS, TRYCYCLES ET QUADRICYCLES A MOTEURS -
ZONE UEMOA
4
No Référence légale Conditions & Modalités Obligatoires Communes
I
II
1) Togo :
Décret en date du 20
/10/2023 portant
règlementation de
l’exploitation des
véhicules à moteur : taxi,
taxi moto et tricycle
affectés au transport
public,
2) Burkina Faso :
Décret No2021-559 du
05/07/2012
3) Cote d’Ivoire :
Décret en date du 15
/12/2021
Communiqué du Préfet
de Police d’Abidjan en
date du 3 mai 2022
précisant les pièces
faisant objet de contrôles
routiers
Décision du Conseil des
Ministres en date du 7
juillet 2021 rendant
obligatoire
immatriculation et visite
technique
4) Bénin :
Décret No 2013-349 du
4/09/2013,
Arrêté Interministériel
No2008-52 du 10/07/2008
5) Guinée :
Arrêté ministériel du
27/03/2020
1) Type de motos : cylindrée 50 à 150 cm 3
2) Type de tricycle : cylindrée ≤ 125 cm3
3) Visite technique obligatoire (annuelle ou
semestrielle)
4) Justificatif de domicile de moins de 6 mois
5) Copie légalisée CIN en cours de validité
6) Certificat de situation administrative personnelle
7) License spéciale Ministère Transports
8) Autorisation d’exercer par autorité régionale
d’immatriculation
9) Permis de conduire catégorie A
10) Attestation d’Assurance : validité 3 mois minimum
11) Carte d’autorisation de transport
12) Certificat d'immatriculation ou carte grise
13) Age minimum : 18 ans
13) Immatriculation spéciale Motos obligatoire
14) Contrôle technique obligatoire : 1 an pour les motos
et 6 mois pour les tricycles
15) Limitation géographique : accès au Centre-ville
interdit (Plateau à Abidjan et Kaloum en Guinée)
16) Port obligatoire casque
17) Délai accordé aux conducteurs pour se mettre à jour :
3 mois, ou 6 à 12 mois selon les pays.
Mesures Additionnelles (par certains pays)
5
1) Port obligatoire d’un gilet rouge ou jaune avec
numéro d’identification
2) Couleur spécifique attribuée à tous les motos taxis
au niveau national
3) Couleur spécifique attribuée à chaque région du
pays
4) Plan de circulation spécifique aux motos taxis et
tricycles dans les zones urbaines ou péri-urbaines,
5) Restriction géographique en ville
6) Programme spécial de mesures incitatives par le
gouvernement avec coopération de compagnies
d’assurances :
a) Soit forfait ou rabais concernant les frais
d’assurance, ou d’immatriculation,
b) Ou fourniture gratuite de casques.
C’est donc toute une stratégie, inclusive, de communication et d’appels répétés au
respect du code de la route et de la protection de la vie humaine – pour conducteurs
et clients – qui a été régulièrement déployée au niveau de chacun de ces pays pour
arriver à la mise en place transparente des modalités et conditions citées.
A cet égard, il convient de saluer les récentes mesures prises par le Directeur
Général de l’ANASER en accompagnant l’Association pour la lutte contre
l’insécurité routière de Thiès (ALIR) dans le programme de formation, sur la lutte
contre les accidents de la circulation, d’une centaine de conducteurs de motos taxis
avec un don d’un casque pour chacun d’entre eux. Une ampliation du programme
aux autres régions sera assurément bénéfique.
Cependant, au moment où certaines voix s’élèvent pour une suppression immédiate
et totale des motos taxis, l’option d’une stratégie plus souple, élaborée en deux
phases, marquée par une implication entière de l’Etat et des acteurs concernés, nous
parait plus indiquée.
Quelles recommandations faire aux autorités et aux acteurs du milieu ?
Deux phases sont à considérer :
Dans la phase d’urgence actuelle, et pour une période éventuelle de deux ans :
1. D’abord légiférer d’urgence – par décret, loi ou arrêté primatorial …- pour
prendre un acte officiel confirmant la reconnaissance officielle et
l’homologation comme acteur du transport public, de cette nouvelle
profession, à l’instar des autres pays de la sous-région,
2. Ensuite, s’inspirer des mesures évoquées dans le tableau ci-dessus, et en
consultation avec les associations reconnues, pour définir une bonne fois
pour toutes les conditions et modalités d’exploitation à titre commercial de la
conduite de motos taxis (1 client uniquement par moto) et de tricycles (à
6
bagages) sur le territoire national, ainsi que le coùt de toutes les infractions
retenues,
3. En profiter également pour définir les modalités et conditions pour le métier
de livreur à moto, avec précision de tous les accessoires annexes à respecter
(tenue du conducteur, dimensions du box de transport du produit ...etc.…),
4. Mettre effectivement en place la Police Spéciale de Sécurité Routière
(PSSR) – dédiée spécialement et uniquement à la prévention et à la sécurité
routière - tel que recommandé depuis 2009 en annexe de la Directive No
12/2009/CM/UEMOA portant institution d’un schéma harmonisé de gestion
de la sécurité routière dans les pays de l’UEMOA.
Toujours évoquée à la suite d’accidents tragiques majeurs survenus dans le
pays, comme ce fut le cas lors du Conseil Interministériel sur la sécurité
routière du 9 janvier 2023, suite à l’accident du village de Sikilo (région de
Kaffrine), sa mise en place est toujours différée : son évocation constituait le
point No 1 des mesures prises, malgré l’imprécision de la structure.
Bien équipée (véhicules, motos, tenue particulière), la PSSR, dont le cœur de
métier principal, voire unique, est la sécurité routière, sera, comme dans
d’autres pays de la sous-région, d’un apport considérable à la Police et la
Gendarmerie,
5. Initier une large politique nationale de communication sur la sécurité
routière à travers toutes les chaines de télévision, avec des professionnels
(Police et Gendarmerie surtout) et dans toutes les langues du pays, et faire
revenir l’émission quotidienne ou bi-hebdomadaire du code de la route sur
les médias radio et TV : exiger un quota horaire sécurité routière à toutes les
chaines de télévision !
Dans une seconde phase et dans un délai de deux ans :
6. S’inspirer d’ici deux ans, du modèle nigérian du National Poverty Eradication
Programme (NAPEP) - Programme National de Réduction de la Pauvreté –
initié par le Président Obasanjo depuis 2001, dont un volet – parmi les dix
retenus - était consacré à l’autonomisation et l’offre d’un emploi décent et
durable pour les jeunes, avec l’octroi de tricycles de transport de personnes,
communément appelé « Keke », vélo en région Yorouba, d’où la
dénomination populaire de KEKE NAPEP !
Deux mille (2000) unités en seront distribués en 2001 dans la capitale Abuja,
et 5000 à travers les 36 états de la Fédération en 2004 ! Des centaines de
milliers d’unités sont en opération aujourd’hui à travers le pays !
L’objectif politique recherché était avant tout l’éradication progressive des
motos taxis, dans les villes et les axes routiers majeurs, pour les mêmes
raisons que connait le Sénégal aujourd’hui !
7
En effet, il est reconnu que le tricycle de transport de personnes est moins
accidentogène, plus enclin au respect du code de la route et offre plus de
sécurité au conducteur et aux passagers. Il a également l’avantage de se
présenter en une variété de modèles (citerne, ramassage d’ordures, transport
de matériel et bagages, ambulance ...etc..) qui permettent d’envisager un
programme spécial de reconversion au profit de nombreux corps de métiers,
dont les charretiers …afin de sortir enfin et définitivement les charrettes de
nos espaces urbains !
Sur le plan économique, son adoption offre une large gamme d’opportunités
d’emplois nouveaux, décents et durables comme : distributeurs agrées
régionaux, dépositaires de pièces détachées, représentants commerciaux,
techniciens d’assemblage ou de montage.
Le schéma a fait depuis des émules à travers le continent et ceux qui voyagent
souvent en Afrique ont certainement eu l’opportunité de les retrouver au
Ghana, au Kenya, en Ethiopie, en Ouganda, et en Côte d’Ivoire plus près !
C’est la solution systémique que nous avons le plaisir de partager et de
recommander vivement pour faire face au calvaire quotidien du désordre des
motos taxis dans nos villes, améliorer et mieux contrôler la sécurité routière
afin de réduire drastiquement l’hécatombe de morts et blessés sur nos
routes !
Enfin, c’est, au niveau des pays cités, une alternative efficace d’offres
d’emplois et d’autonomisation des jeunes, initiée et pilotée par l’Etat, et
destinée en priorité, voire exclusivement, aux nationaux !
Mr. Alioune Diop, Colonel (Er)
Ancien Conseiller Sécurité des Nations Unies
Consultant
Secrétaire Général de l’Association pour la Promotion
de la Sécurité Humaine (APROSH)
Mail : aldiop30mail.com